Interview réalisée en janvier 2020
Les algues, "une matière première du futur"
En quelques années, Algaia est devenu un acteur incontournable du marché des extraits d’algues. L'entreprise, qui compte aujourd'hui près de 100 salariés répartis entre les sites de Lannilis, Saint-Lô et un bureau parisien, transforme des extraits d’algues en agents de texture pour différents marchés : l'agro-alimentaire, la cosmétique et l'agriculture. Fabrice Bohin en est le fondateur a été son président directeur général jusqu'au printemps 2020. Il raconte comment l'entreprise bretonne a su s'imposer sur ce marché porteur.
Quel est votre parcours ?
J’ai 51 ans. Je suis né à Lyon, j'ai fait mes études à Paris, puis je suis parti aux États-Unis, j'ai vécu au Chili, en Belgique, en Suisse, etc. J’ai plus de 20 ans d’expérience dans le domaine des ingrédients de spécialité pour l’agro-alimentaire, la cosmétique et la pharmacie. Il y a à peu près 5 ans, j’ai pris un virage plus entrepreneurial dans un fonds d’investissement, puis j’ai créé Algaia.
Algaia, qu’est-ce que c’est ?
Algaia est une entreprise en hypercroissance qui, aujourd’hui encore, a des croissances annuelles à deux chiffres. Elle est tournée vers les algues et les différents types d’actifs que l’on peut en extraire. Ces actifs servent ensuite à divers marchés et qui répondent aux besoins actuels. Par exemple, à l’agro-alimentaire, pour réduire la quantité de gras ou de sucre dans certains produits, ou aussi dans la cosmétique pour se substituer aux produits chimiques. Nous nous développons également dans l’agriculture car nous pouvons extraire des algues des molécules qui peuvent rendre les plantes plus résistantes aux agressions liées aux changements climatiques telles que les épisodes de sécheresse, elles sont « bio-stimulées ».
Quel est le parcours d’une algue, de sa récolte à votre travail ?
Nos algues sont pêchées à proximité, dans la mer d’Iroise, en Finistère nord principalement, un peu en Finistère sud. Ce sont des goémoniers avec qui nous avons des contrats annuels qui vont chercher ces algues et les déchargent sur les ports. Elles sont ensuite amenées fraiches sur le site de transformation, puis sont traitées pour en extraire le maximum de valeur. Nous voulons travailler principalement avec des algues bretonnes par volonté d’un circuit court, pour limiter les émissions de CO2 et participer au développement de l’économie locale. Nous sommes le plus gros acheteur d’algues françaises au monde, avec près de 40.000 tonnes achetées annuellement. Nous souhaitons en acheter davantage encore tout en préservant les cycles naturels de ces algues. Une partie de nos algues provient de destinations lointaines, comme l’Amérique du Sud, mais ce n’est pas notre stratégie, nous aspirons à limiter au maximum notre empreinte carbone.
Pourquoi choisir de récolter ces algues en Bretagne ?
L’exploitation des algues en Bretagne date de Louis XIV. C’est quelque chose d’ancestral, de culturel. La Bretagne est l’une des régions les plus stratégiques au monde dans le domaine des algues avec plus de 500 espèces répertoriées localement. La population algale de Bretagne, en particulier les laminaires, est très dynamique, avec des taux de croissance spectaculaires du fait de la clarté des eaux, des températures homogènes et des courants nombreux qui apportent les nutriments du large sur les côtes. On peut s’imaginer qu’il y a des algues partout mais tout va être une question de vitalité des stocks, de capacité à aller les chercher, est-ce que les fonds marins s’y prêtent, est-ce que la qualité de l’eau est bonne, etc. La Bretagne et les algues, c’est comparable au bordelais pour le vin.
Sur quels types de produits sont utilisées les algues dans l’agro-alimentaire ?
L’utilisation d’algues dans l’alimentaire date de centaines d’années. Dans certaines régions d’Asie, la population consomme jusqu’à 30 kg d’algues par an et par personne. À côté, nous sommes de très petits consommateurs. Il y a un énorme marché pour l’algue alimentaire. L’Europe est très faible là-dedans mais, selon moi, c’est un secteur en forte croissance. Nous, nous ne sommes pas sur ce secteur puisque nous commercialisons des extraits d’algues, des actifs hyper-puissants, hyper-purs. Ils vont servir par exemple à remplacer des produits d’origine animale, par exemple, les boyaux qui servent à la production des saucisses pour proposer des saucisses halal, vegan ou casher. C’est très recherché. Nous retrouvons également ces actifs dans la boulangerie, la pâtisserie, les crèmes glacées, les desserts lactés, dans le domaine de la viande ou dans les produits vegan. Les applications sont nombreuses, en fort développement et sont liées à la volonté des consommateurs d’avoir des produits naturels, sains et contenant le moins possible de graisses et de sucres. Pour avoir un produit qui a du goût, les industriels sont obligés de compenser le gras et le sucre par des agents de texture : des extraits d’algues, de fruits, etc.
L’algue est aussi une ressource bio, en accord avec les préoccupations de développement durable…
C’est une matière première du futur. L’algue jouit d’une belle image car c’est une matière première naturelle, renouvelable, sans génétique modifiée et sans pesticides. Elle est récoltée de matière durable. L’exploitation des algues est très réglementée, il y a des quotas, des zones de rotation. On n’exploite pas certaines zones pendant trois ans, on attend que les algues repoussent. Nous souhaitons avoir le moins d’impact possible sur l’environnement. Nous utilisons l’eau de la rivière, que nous potabilisons, et tous nos déchets sont valorisés.
L’humain est également au cœur des préoccupations d’Algaia ?
Les femmes et les hommes qui composent nos équipes sont le capital le plus important de l’entreprise et nous y faisons très attention. Nous voulons le meilleur environnement de travail possible, éviter les ports de charges, avoir des conditions de travail sûres, ne pas avoir de plafond de verre et proposer des perspectives d’évolution. Il y a eu énormément de promotions internes à des postes de management pour des personnes qui étaient initialement chefs de poste ou même ouvriers il y a quelques années… Nous avons une culture forte, basée sur la gagne, le dynamisme et l’innovation. Une culture très entrepreneuriale mais également professionnelle : nous avons le professionnalisme du grand groupe tout en souhaitant maintenir l’agilité et la capacité d’innovation d’une start-up.
Quelle place a la recherche dans les missions d’Algaia ?
Notre centre de R&D est situé à Saint-Lô en Normandie. Notre recherche s’articule autour de plusieurs axes. Nous faisons de la recherche et du développement pour de nouveaux produits. Plus de 30% de notre portefeuille actuel sont des produits qui n’existaient pas il y a trois ans. Aujourd’hui nous avons plus de 150 références commerciales. Chaque référence répond à un besoin. Nous faisons également de l’analytique, avec des projets plus collaboratifs, avec les régions ou l’Europe, qui peuvent être en partie subventionnés. Nous avons également une activité de services, analytiques notamment basée sur notre expertise interne ce qui nous amène à analyser des algues venant de tous les coins de la planète. Puis, nous effectuons de la recherche et du développement de procédés. Comme la bio-raffinerie qui a d’abord été développée en laboratoire, puis sur notre site de Saint-Lô avant d’investir pour notre usine de Lannilis. Aujourd’hui, nous sommes les seuls au monde à avoir développé ce procédé de bio-raffinerie destiné aux algues brunes.