"L'océan est un régulateur de température"
Chef du centre Météo France Marine & Offshore de Brest-Guipavas depuis 2011, Michel Aïdonidis se plaît dans le Finistère, sur les rives de la rade de Brest. Il porte un regard d'expert sur les caractéristiques climatiques du Finistère, ce département baigné par la mer, “à la fameuse douceur océane en hiver et la fraîcheur océane en été”.
Vous êtes météorologue. En quoi consiste ce métier ?
La première idée qui vient à l'esprit, lorsque l'on parle de météorologie, c'est au sujet du temps qu'il va faire demain, une question d'importance qui est sur toutes les lèvres. Mais, bien évidemment, la météorologie ne se résume pas uniquement à cela. Pour savoir le temps qu'il fait, il faut observer, et, pour ce faire, nous disposons de capteurs sur terre, dans les airs, et depuis l'espace, qui mesurent le vent, l'état de la mer. Nous avons à Météo France des services spécialisés dans l'observation, également dans la climatologie, une science qui se projette sur plusieurs dizaines d'années dans le passé et dans l'avenir pour tenter de saisir les tendances notamment sur les prochaines décennies et tout particulièrement les impacts du dérèglement climatique sur la température, les précipitations, les tempêtes et autres phénomènes. Je gère une équipe de douze prévisionnistes à Guipavas. Notre champ d'étude s'étend de la côte au grand large, en Manche, en Atlantique en Méditerranée. Mais on travaille également à l'international, récemment pour la principauté de Monaco, le Maroc, le Liban, le Sénégal… C'est très varié.
Quelles sont les particularités de ce département à la position géographique unique, tourné vers l'océan ?
Le Finistère est entouré d'eau, côté nord, ouest et sud. Nous avons 1400 kilomètres de côtes, c'est-à-dire le quart du linéaire côtier métropolitain ! L'influence maritime est considérable. C'est elle qui nous apporte cette fameuse douceur océane en hiver et cette fraîcheur océane en été.
Mais nous avons également du relief, des montagnes qui s'élèvent jusqu'à trois cents mètres. Alors, évidemment, pour moi qui suis Pyrénéen d'origine, c'est petit, mais l'incidence n'est pas négligeable notamment en hiver. On peut ressentir des conditions hivernales, à savoir un petit peu de neige, du verglas, etc. Ce qui survient assez régulièrement, même si ces effets ont tendance à diminuer avec le temps.
Parfois, nous observons également des phénomènes que connaissent bien les montagnards. Il s'agit de l'effet de foehn qui contribue à augmenter la température de l'air quand le vent souffle de façon perpendiculaire par rapport aux montagnes. Quand le vent souffle du Sud-Est, on bat dans la région de Brest des records de chaleur, ce qui signifie deux, trois, quatre degrés en plus par rapport au sud du Finistère par exemple. Les températures sont alors exceptionnelles.
Ce climat finistérien, pouvez-vous le caractériser ? Comment le définir en quelques traits ?
C'est un climat doux, humide, qui nous réserve souvent de bonnes surprises, dans le sens où l'on a des périodes ensoleillées pas désagréables. Les variations de température sont plutôt limitées, ce qui est une bonne chose au vu du dérèglement climatique qui s'accélère et qui nous touche également dans le Finistère.
Avez-vous déjà noté des changements effectifs et quelles sont vos craintes ?
Clairement, les températures ont nettement augmenté dans le Finistère ces dernières décennies. Je me base sur Guipavas, parce que c'est le centre météorologique le plus ancien du département. Sur les températures maximales annuelles, on a gagné près de 1,5 degré Celsius depuis 1945. Et tant que les émissions de gaz à effet de serre continuent, le dérèglement climatique va se poursuivre et s'accélérer.
Au niveau des précipitations, on observe des fluctuations d'une année sur l'autre tout à fait normales. En revanche, l’accentuation des périodes sèches et des périodes très humides est de plus en plus marquée. Le réchauffement est vraiment notable au niveau des hivers. On voit bien que la neige est un phénomène de plus en plus rare.
La montée des eaux est déjà observée. Ce ne sont que quelques centimètres par décennie, ce qui peut paraître peu, mais lors de forts coefficients couplés à une bonne tempête, les dégâts générés sur les côtes sont bien plus importants que par le passé.
Le terme réchauffement climatique est gênant surtout pour nous en métropole et notamment en Bretagne. Je préfère parler de dérèglement climatique. Nous concernant, nous pouvons craindre l'élévation du niveau de la mer et des précipitations encore plus abondantes, ainsi que paradoxalement des problèmes de gestion de l'eau. Ce n'est pas le nombre de tempêtes qui va s'accroître mais leur intensité. C'est à prendre très au sérieux et à bras le corps.
L'océan joue un rôle capital dans la régulation du climat. Est-ce perceptible en Finistère ?
Pour le Finistère, l'océan est un régulateur de température, il atténue les extrêmes. C'est un havre de fraîcheur relatif. C'est un véritable régulateur thermique. Mais l’on surveille sérieusement le Gulf Stream qui apporte une douceur agréable notamment l'hiver. Si le dérèglement climatique se poursuit, les glaces du Groenland vont fondre, on va se retrouver avec de l'eau plus froide dans l'Atlantique, ce qui, à terme, va dérégler le Gulf Stream. On est en train de bousculer l'équilibre de la machine atmosphérique et océanique. Les effets de dominos peuvent être cataclysmiques. Ce n'est pas la fin du monde, mais c'est la fin d'une façon de vivre. Si j'ai un regret, c'est que la prise de conscience soit encore beaucoup trop lente.