"Mieux connaître et mieux respecter la biodiversité des estrans bretons"
Créé en 2017, par l'association SEPNB-Bretagne Vivante, l'observatoire breton du changement sur les estrans a été pensé selon le principe des sciences participatives. Ancien chercheur au CNRS en écologie marine, le Brestois Christian Hily est à l'origine de ce projet qui fait appel aux naturalistes amateurs.
Pourquoi avoir créé l'observatoire breton du changement sur les estrans ? Quels étaient les objectifs de départ ?
Mis en place en 2017, l’observatoire breton du changement sur les estrans a réellement pris son essor en 2018. Il a été mis en place pour permettre de mieux connaître et mieux respecter la biodiversité des estrans bretons. Il reste en effet beaucoup à faire pour appréhender l'évolution de l'estran face aux pressions multiples sur la zone littorale, qu'elles soient locales, ou plus globales comme le changement climatique.
L’objectif est de former des observateurs bénévoles avertis capables d’identifier la présence d’espèces communes, ou plus rares, sur les estrans, et d’apporter des connaissances sur leur répartition géographique à l’échelle régionale. Les observateurs bénévoles transmettent les informations collectées sous forme de fiches standardisées qui sont ensuite intégrées dans une base de données.
Ancien chercheur CNRS en écologie marine à Brest, j’ai pu participer par le passé à ces efforts de compréhension du fonctionnement des écosystèmes côtiers. Cette expérience m’a permis de concevoir ce projet permettant au milieu associatif de s’investir sur un domaine naturaliste jusqu’ici largement réservé aux scientifiques professionnels. Nous souhaitons ainsi apporter de véritables connaissances nouvelles, complémentaires aux travaux menés dans ce domaine par les organismes de recherche institutionnels comme le CNRS, l'Ifremer, le Muséum national d'histoire naturelle.
Quelles sont les particularités de l'estran ? Ses spécificités ? Ses fragilités ?
La zone de balancement des marées, ou zone intertidale (de tide = marée en anglais), est le milieu marin appelé communément l’estran. En Bretagne, l’amplitude des marées est grande et les fonds marins ont souvent une faible pente. De par ces caractéristiques, les surfaces découvertes lors des marées basses sont très grandes comparativement aux autres côtes de France et même d’Europe.
Cette particularité de la Bretagne, et du Finistère en particulier, qui attire de loin les pêcheurs à pied, conjuguée avec sa position géographique originale au croisement des eaux du golfe de Gascogne, de la Manche et de la mer Celtique, explique la richesse véritablement extraordinaire de sa faune et de ses algues.
Les enjeux écologiques et économiques sont donc très forts en Bretagne, pionnière dans la recherche avec ses très anciennes stations de biologie marine de Concarneau, Roscoff ou encore Dinard. Il est important de connaître, comprendre les changements en cours et anticiper ceux à venir afin de conserver au mieux ses richesses naturelles soumises aux multiples impacts des activités humaines.
En quoi l'observatoire breton du changement sur les estrans peut-il apporter des données complémentaires à celles déjà collectées par les scientifiques ?
Les recherches menées par les scientifiques se concentrent sur la compréhension des phénomènes, sur les processus écologiques qui conduisent à telle ou telle réponse des écosystèmes et des organismes. Les contraintes, liées entre autres aux moyens humains nécessaires pour l’observation de la biodiversité à de larges échelles géographique comme la Bretagne, orientent les travaux des scientifiques sur d’autres priorités. Le réseau national des stations marines a mis en place un observatoire de la biodiversité qui suit l’évolution des habitats marins sur quelques points très précis, mais ses moyens restent malheureusement trop limités.
La force du réseau de bénévoles réside dans son potentiel d’effort d’observation. Une à deux fois par mois, sur une dizaine de sites différents répartis sur l’ensemble des côtes, une centaine de paires d’yeux observent et identifient les espèces de l’estran. En outre, le réseau fédère peu à peu des spécialistes en taxonomie, retraités ou encore en activité, qui apportent bénévolement leurs expertises sur des espèces ou des groupes particuliers. Les données ainsi collectées permettent d’apporter des informations sur la présence d'espèces sur des secteurs non couverts par les scientifiques.
L'analyse des données permettra de caractériser la répartition géographique des espèces - dans un premier temps celles de la faune des estrans rocheux, celles qui sont introduites et celles qui sont sensibles au changement climatique. L'enquête permettra également d'identifier des secteurs particuliers des estrans bretons, tant pour leur richesse que pour leur fragilité, et de contribuer avec les collectivités territoriales à la conservation de ce patrimoine naturel.
Que peut-on dire des contributions effectuées pour le moment ? Quelles conclusions peut-on déjà en tirer sur l'état de la flore et de la faune peuplant l'estran ? Des évolutions majeures ont-elles été constatées ?
Depuis 2017, plus de 12 000 données ont été recueillies. Elles concernent 500 espèces animales réparties sur près de 300 sites entre les côtes d’Ille-et-Vilaine et de Loire-Atlantique. Se dessinent déjà des groupes d’espèces différents selon différents critères, de rares à communes, à répartition plutôt nord ou sud Bretagne… Mais nous avons également eu déjà des surprises passionnantes permettant de préciser les limites de répartition de quelques espèces qui s’étendent vers le nord facilitées par le changement climatique, ou l’observation d’espèces très rares sur l’estran en particulier dans le groupe particulièrement coloré des petites limaces de mer. L’aire de répartition de plusieurs espèces introduites s’étend peu à peu et les observations permettent d’en préciser les contours. S'il est encore trop tôt pour tirer des conclusions scientifiques, les résultats déjà obtenus et les perspectives montrent tout l’intérêt de la démarche entreprise, et ce n’est que le début car la dynamique de groupe est bien lancée !
Les estrans du Finistère sont particulièrement intéressants dans ce domaine. De forts contrastes sont notables entre les côtes sud qu’atteignent assez rapidement les espèces remontant du golfe de Gascogne et les côtes nord séparées par la mer d’Iroise. Celle-ci est un véritable point froid qui freine l’entrée en Manche des espèces favorisées par le réchauffement, tandis que résistent celles qui en souffrent à l'image de certaines espèces animales mais aussi de grandes algues brunes. La rade de Brest est, quant à elle, un « hot spot » de biodiversité très original.
Comment devenir un observateur de l'estran ? Comment contribuer à une meilleure connaissance de ces milieux particuliers entre terre et mer ?
Il suffit de contacter l’association à l’adresse suivante : observatoire.estran@bretagne-vivante.org. Tous les éléments nécessaires seront fournis pour participer aux sorties, aux formations et ainsi acquérir les bases nécessaires pour participer ensuite de manière individuelle ou en groupe. Un site Internet est en cours d’élaboration.
Ce réseau d’observateurs avertis devient de fait un réseau opérationnel pouvant être informateur sur les menaces, les perturbations qui peuvent survenir sur nos estrans bretons mais aussi, restons optimistes, sur de belles réalisations menées par des collectivités, des structures ou de simples citoyens pour protéger nos grèves et nos plages bretonnes que tant de régions nous envient.