"Molène, on l'a très fort dans notre coeur"
Depuis 15 ans, Alain Corbel sillonne la mer d'Iroise aux commandes d'un des bateaux de la compagnie Penn Ar bed. Rencontre avec un Molénais qui parle avec émotion de son île et de son "amour indéfectible" pour la mer.
Un mot sur votre parcours, votre enfance sur Molène...
Mon père travaillait déjà pour la compagnie maritime qui desservait les îles, Molène et Ouessant. J’ai passé mon enfance à Molène. On a quitté Molène dans les années 70, je devais avoir 6 ans à peu près. Et ensuite, on est tout le temps revenu sur Molène. [...] On a toujours gardé un lien avec l’île, on ne l’a jamais quitté finalement.
J’ai fait mes études à Brest (NDLR : des études d'électrotechnicien) mais ça me plaisait pas du tout. J’étais toujours toujours attiré vers l’eau, la mer, toujours. Je voulais à tout prix travailler sur l’eau. Donc je suis retourné à Molène travailler comme marin pêcheur pendant 2 ans, et ensuite j’ai eu l’opportunité de rentrer comme matelot à la compagnie maritime Penn ar bed.
Puis, je me suis dit que matelot, toute ma vie... [...] Donc j’ai décidé quelques années plus tard de reprendre mes études à 26 ans, de retourner sur les bancs de l’école à Saint Malo, où j’ai passé le « Capitaine côtier ». J’ai dû quitté la compagnie maritime Penn ar Bed ; j’ai navigué sur des bateaux au large, un peu partout sur les mers du monde, et à l’âge de 30 ans, j’ai eu l’opportunité d’avoir ma place ici, à la Penn Ar Bed. [..] J’y suis depuis 15 ans.
Molène c’est une vie chère à votre cœur...
Molène c’est mon enfance, c’est mes racines, c’est tout. J’y retournerai jusqu'à la fin, j’espère ! On est attaché à son île plus qu’un terrien peut être attaché à sa ville ou à son village. Molène, ça représente un petit bout de terre et on l’a très fort dans notre coeur.
Que ressentez-vous quand vous emmenez les gens à Molène ?
On est toujours fier de faire découvrir l’île qui nous a vu naître. C’est toujours un plaisir.
Emmener les gens sur Molène, c’est aussi un service public, un lien entre l’île et le continent. Cela contribue à la fierté d'exercer ce métier ?
Avant tout, oui, c’est le but, c’est ma mission : emmener les gens en toute sécurité sur Molène, sur Ouessant ou sur l’ile de Sein, et pouvoir ravitailler également l’île en nourriture, en marchandise... Il faut imaginer qu’on est vraiment le lien entre le continent et les îles, et sans nous ce serait dur pour eux.
Comment fait on coexister sa vie sur le continent, sur le bateau et son cœur qui est à Molène ?
On a toujours des liens avec les gens qui sont sur l'île. Mon frère y habite. Mes parents passent 6 mois de l’année à Molène et 6 mois sur le continent en hiver.
Et c’est un plaisir renouvelé à chaque fois que vous y allez ?
Toujours oui. [...] On retrouve une liberté qu’on n'a pas sur le continent une fois qu’on est sur l'île. Une fois que le bateau est parti le soir, à 17h ou 17h30, on est libre, on est seul sur terre. Ce sentiment qu’on ressent sur l’île, c’est quelque chose de fort, de puissant…
La mer d’Iroise, c’est un terrain de jeu particulier. Vous pouvez nous en parler ?
La mer d’Iroise, pour avoir navigué sur plusieurs mers dans le monde, n’est pas une des plus faciles. Je ne vais pas dire que c’est la plus dure, mais en mer d’Iroise, il y a toujours "plus" qu’ailleurs. Plus de vent, plus de houle, plus de tout ! Le mauvais temps en mer d’Iroise, on le sent bien. Il n’y a qu’à voir les jours de tempêtes à Ouessant, à Molène, c’est vraiment du costaud.
Il est donc nécessaire de la connaître pour s’y aventurer ?
Evidemment, il faut la connaître. Moi, j’ai l’avantage d’être né là-bas. J’ai appris à naviguer entre les cailloux, j’ai appris le nom des cailloux. [...]
Il y a d’autres capitaines qui le font aussi, et qui maîtrisent aussi. Mais on a toujours ce "petit plus" d’être né sur l’île, d’avoir vécu sur l’île, et d’avoir appris tous ces petits chemins, ces petits détours entre les cailloux que les autres ne connaissent pas.
Un coin préféré sur Molène ou dans l’archipel ?
Sur Molène, sans hésiter, c’est la partie ouest de l’île, où il n’y a pas de construction. C'est encore à l’état sauvage. Quand on regarde la mer au loin, l’horizon, il n’y a plus rien, c’est l’immensité de l’océan. Et les couchers de soleil sur Molène, c’est tout simplement magique.
Ensuite, il y a la possibilité d’aller sur les petites îles à côté, si on a un bateau, comme Balanec, Bannec, Trielin, Quéménès.. Et les petits îlots qui sont encore à côté : Litiri, Morgol… Ce sont des endroits magiques, magnifiques et préservés. [...] On respecte cet environnement qui est cher à notre cœur et qui, quelque part, nous appartient aussi.
Quand on est petit, on rêve d’être capitaine ?
Ah non pas du tout ! Moi, ce n’était pas du tout mon rêve. Ça m’est venu plus tard, à l’âge de 18 ans, quand j’ai commencé à mettre les pieds sur les bateaux de pêche, pêcher, ramener de la nourriture du fond de la mer… c’est de là que m’est venu cet amour indéfectible pour l’eau et la mer. Et c’est là que je me suis dit : "c’est ça que je veux faire".